« Cassandra » à Berlin

Le prologue fait beaucoup de bruit sur scène – des murs qui s’écroulent, puis un carnage et du sang. Le passé lointain, le présent et des scénarios d’avenir menaçants sont liés dans ce premier opéra commun « Cassandra » du compositeur belge Bernard Foccroulle (musique) et du Canadien Matthew Jocely (livret).

Le mythe de Cassandre en est le fil conducteur. Les prophéties de Cassandre d’Homère (Katarina Bradic), qui prédit la chute de l’antique Troie dans sa lutte contre les Grecs, alternent avec les avertissements et les prédictions de la climatologue Sandra (Jessica Niles) au 21e siècle. Ces deux femmes partagent le même destin : leurs sombres prédictions sont ignorées par les hommes qui auraient encore le pouvoir d’éviter les catastrophes. Les deux intrigues – la chute de Troie et les débats sur les causes et les conséquences du changement climatique actuel – s’entremêlent sans cesse au cours des 13 scènes.

Les projections vidéo de la mise en scène (Marie-Eve Signeyrole) captivent les spectateurs et s’accordent avec précision à la musique. Elles complètent parfaitement le décor de scène. Au centre du décor se trouve un cube mobile qui encadre l’action et qui est toujours transformable, divisible – il peut servir d’iceberg, de mur de livres, de mur, d’étagère ou de nid d’abeilles. Des détails impressionnants et des changements constants de focalisation emmènent les spectateurs sur le plan scénique. D’autant plus qu’une caméra en direct est utilisée et projette ainsi en grand format des extraits de la représentation.

Sandrine Mairesse (Stage Manager, Marjorie), Jessica Niles (Sandra), Live-Kamera Kathrin Krottenthaler und Komparserie Credits: Stephan Rabold
Photo: Stephan Rabold

L’implication du public est mise en scène – des rires méprisants, des applaudissements ou même de la colère et des critiques accompagnent constamment la représentation depuis les gradins. Ceci est lié au rôle de Sandra qui, en tant que comédienne de stand-up, tente de se faire entendre par le biais de l’humour avec lequel elle présente ses faits. Le cri de Cassandra « Ototoi Popoi da », pour lequel il n’existe pas de traduction et que Katarina Bradic lance de manière impressionnante et pleine d’horreur lorsqu’elle envisage l’avenir, est loin d’avoir disparu.

Sarah Defrise (Naomi), Katarina Bradić (Cassandra) und Komparserie Credits: Stephan Rabold
Sarah Defrise (Naomi), Katarina Bradić (Cassandra, à droite), Photo: Stephan Rabold

Les couples de parents des deux femmes sont interprétés par les mêmes chanteurs. Ils endossent des rôles différents : Dans l’Antiquité, en tant que parents de Cassandra, Hécube et Priam, ils regardent tristement leur destin et la mort en arrière. Dans le présent, en revanche, ils chantent de manière haineuse et moqueuse. Victoria (Susan Bickley) et Alexander (Gidon Saks) sont des gens riches qui veulent profiter de l’exploitation des matières premières après la fonte des pôles. Sandra n’est pas prise au sérieux par ses parents. « Sandylein », chante son père de manière toujours minimisée.

Apollo (Joshua Hopkins) se nourrit de cadavres troyens et harcèle Cassandra sexuellement. Sandra, en revanche, a un homme proche d’elle. Mais la relation entre Blake (Valdemar Villadsen), un militant pour le climat, et Sandra (Jessica Niles) est pleine de problèmes. Les deux font des recherches. Blake veut un enfant, Sandra non. Son chant est déterminé et convaincant. Elle s’autodétermine et craint que son enfant ne connaisse que la souffrance d’un monde qui s’écroule. 

Jessica Niles (Sandra) Credits: Stephan Rabold
Jessica Niles (Sandra), Photo: Stephan Rabold

Le caractère de Blake est représenté par le saxophone – il se tortille, reste d’abord dans le flou, puis passe à l’action et part en bateau pour un voyage en Antarctique. C’est là qu’il a un accident. Au même moment, la naissance de l’enfant de la sœur de Sandra, Naomi, se met en place – la sœur cadette de Sandra est sa contrepartie. Elle choisit de vivre ici et maintenant. 

Le chœur des esprits relie les époques et transporte les spectateurs tout au long de la pièce. Parfois en arrière-plan, parfois en avant-plan. Il apparaît également dans les gradins et rétablit ainsi le lien avec le public. Les abeilles sont le symbole de la biodiversité détruite. Elles sont d’abord représentées par des projections vidéo comme un grand essaim, audible grâce aux violons. Plus tard, les abeilles ne sont plus qu’un petit groupe. Elles sont menacées d’extinction.

Sarah Defrise (Naomi), Katarina Bradić (Cassandra), Chor und Komparserie Credits: Stephan Rabold
Sarah Defrise (Naomi), Katarina Bradić (Cassandra), Photo: Stephan Rabold

Le jeu de l’orchestre sous la direction d’Anja Bihlmaier correspond parfaitement aux projections vidéo – les forces et les sons de la nature sont représentés – la glace fond. Le marimba est particulièrement bien utilisé dans les scènes du présent.

Sandra et Cassandra se retrouvent à la fin. Elles chantent ensemble « Ototoi Popoi da » – les deux combattantes solitaires trouvent leur pendant de l’autre époque. Contrairement à Cassandra, Sandra n’abandonne pas – elle ne se laisse jamais déposséder de sa voix. Le public du Staatsoper Unter den Linden, plein à craquer, applaudit à juste titre avec enthousiasme – le livret d’accompagnement attrayant et la discussion d’introduction sont également très réussis.